UNE VIEILLE DAME SALONAISE : LA GRAND FOUENT
"La Grande Fontaine" ou "La Fontaine Moussue"
Comment en parlaient nos anciens ?
RAYMOND JAUSSAUD :
« Histoires de Salon » (1992) p.183 à 186
Monsieur Jaussaud, fervent pilier des archives municipales, nous livre ici quelques secrets de notre Fontaine. Du monument primitif dont on ignore les origines mais on connaît sa fin :
Au printemps 1733 « La fontaine fait un drôle de poisson d’avril aux habitants du lieu, en s’étant arrêtée de couler le premier de ce mois » !!!
Au mois de septembre de la même année (tout un été sans eau !) le maire-consul Jean-François de Paul de Lamanon intervient : « La Grande Fontaine de la Place des Arbres étant entièrement ruinée … ne coule plus depuis six mois … Elle décore parfaitement la place » ( !!!)
On envisage enfin sa reconstruction en 1765. (32 ans sans eau !!)
« La première opération a été de faire tirer le cartouche, c’est à dire, les quatre dauphins » On pensait ainsi la déboucher … «Mais deux ou trois jours après que l’eau y a été mise et qu’elle jaillit à la satisfaction des habitants, ceux du quartier sont venus leur porter plainte que leurs caves étaient remplies d’eau.»
La commune envisage alors de la détruire complètement … mais …
«Les députés ont pour le bon plaisir du conseil, fait travailler à un plan figuratif d’un nouvel édifice. »
De projets (plus ou moins énormes) en devis (plus ou moins coûteux) suivis d’appels d’offres… c’est le 2 juillet 1775 que «La dernière enchère ramène le montant des travaux à 1160 livres.»
Description de la construction définitive approuvée par Monseigneur l’Intendant (Jaussaud page 185) :
«Le grand bassin servant d’abreuvoir, en pierre d’Eyguières aurait 22 pans de développement sur trois pans de hauteur. On paverait sur deux toises de largeur son entour avec écoulement pour les eaux de déverse. Un montant de neuf pans de hauteur porterait la grande coupe de neuf pans de carré qui doit y être assise dessus … avec ornements, moulures, sculptures … Un autre montant de sept pans de hauteur porterait une seconde coupe de quatre pans trois quarts de diamètre … ornée de moulures et agréments. Montants et coupes en pierre d’Eyguières. »
Mais on eut pendant des années beaucoup de peine à ramener à la fontaine l’eau des caves du voisinage…
Croquis tirés du livre de MAURICE COURT : «Les très riches heures de Salon et de son terroir» (1979) (personnellement j’ai un doute sur l’apparence de notre fontaine en 1979 : elle était déjà beaucoup plus volumineuse)
Il nous est bien difficile d’imaginer actuellement, cachés sous le calcaire et la mousse, les quatre masques de lions crachant l’eau grâce à de longs tuyaux et le grand jet qui s’élevait là haut au dessus de la dernière vasque. Aujourd’hui, rien ne jaillit, tout s’égoutte...
D’où vient cette eau ?
Comme de nombreuses fontaines salonaises, La grand Fouent était alimentée par la source de Maïre, située au nord de Salon vers l’Hôtel des impôts.
Des écrivains, des poètes l’ont chantée
Joseph MERY de Marseille (1797-1866)
« Les conques superposées de Salon, toutes verdâtres de mousse et faisant couler des eaux comme des fleurs qui inonderaient la barbe d’un patriarche vénérable, de Nostradamus … J’ai vu M. de Chateaubriand humecter un jour ses lèvres avec l’eau de cette fontaine et s’interrompre pour vanter la charmante physionomie de la ville… »
COLETTE
Jean-Louis VAUDOYER : «Beautés de la Provence» (1926)
Nos promeneurs salonais, amoureux de la ville, VIALLAT, CHAPUS, PASSELAIGUE se sont faits les chroniqueurs de ce qu’a vécu cette place :
Gimon (p.315) : Le 28 août 1588 (en pleine guerre de religion)
En 1722 la peste décimait encore notre région. "Un autel fut dressé par les moines des Cordeliers, monastère voisin, afin de célébrer une messe pour conjurer ce terrible mal".
Les «trois compères» nous décrivent également, les bâtiments qui entourent la place et nous content leur histoire parfois controversée :
La grande bâtisse qui abrite le café "le Colisée" (appelé autrefois l’Oriental) était, d’après eux, un ancien couvent, celui des «DAMES DE LA MISÉRICORDE». Depuis, d’autres recherches le situeraient plus à l’ouest vers le Cercle des Arts.
«Le Couvent des Dames de la Miséricorde vis-à-vis de la grande fontaine» (délibération d’un conseil de la ville de 1788). Mais des fontaines ont disparu à Salon et il y en avait une plus à l’ouest…
Les trois promeneurs nous font ensuite une belle description de cette magnifique façade aux fenêtres ornées de têtes religieuses (Christ, Saint Pierre) ou profanes (représentations des quatre saisons).
Puis ils nous racontent la date d’implantation du couvent (1663) et «son utilité à donner une éducation intellectuelle et pratique aux jeunes filles indigentes» (Gimon p.534 : archives salon BB10) Ce couvent disparut à la Révolution. Il fut vendu comme «Bien National» le 23 janvier 1791.
Sur la gauche se trouve l’Hôtel de la Poste : au début du XXème siècle un omnibus faisant la navette entre la gare et le centre ville s’y arrêtait.
A l’angle de la rue du Grand Four, à droite, se trouvait l’Auberge de la Croix de Malte (Touring Hôtel puis Café des Arts). Cette auberge eut l’honneur de loger notre prix Nobel de littérature provençal, Frédéric MISTRAL lorsqu’il venait voir son ami Antoine Blaise CROUSILLAT. Poète, amoureux de sa ville natale, A.B. CROUSILLAT est né là, face à la fontaine. Sa maison, bâtiment discret, aujourd’hui glacier (Gourmand’Ice), sur trois étages, possède de magnifiques décorations intérieures. Sur sa façade, entre deux fenêtres du premier étage se trouve un joli bas relief représentant une ruche encadrée par des gerbes de blé et de fruits. Le poète est mort en 1899 dans cette maison. Le 5 juin 1901, le conseil municipal décide de donner son nom à la Place des Arbres. Le 29 juin 1914 la ville lui rend hommage et lui érige un buste situé à coté de la tour de l’horloge.
Sur cette carte postale datée de 1905 (5 ans près la disparition du poète) on voit bien sa maison, la porte d’entrée disparue.. Avec, sans doute, un rappel de la ruche en guise de linteau.
Cette porte a été détruite pour créer un commerce au rez-de-chaussée.
CROUSILLAT, tous les jours de sa vie, a entendu chanter la Fontaine. Il lui a dédié plusieurs poèmes dont le plus connu commence ainsi :
«Bello Grand’Fouent que davans moun oustau
Te requinquihes frescouleto
Espeloufido en treno de cristau
En nous espouscant lei perleto
De nieu, de jour, toun aigo risouleto,
Seguent la pèncho dei coutau
Vèn, briho e fugue … e n’es pas la souleto …»
Notre fontaine abreuvoir a vu passer les transhumances : montée aux estives au printemps, retour en Crau à l’automne, de nombreuses générations de bergers conduisaient ces centaines de mérinos réputés pour leur laine. Cette habitude ancestrale a disparu lorsque les troupeaux, gênant la circulation automobile, ont fait leur voyage en trains puis en camions.
En 1465, notre Archevêque, Philippe de Levy fixe un jour de marché «Sous les micocouliers de la place Farreiroux» marché qui n’aura pas le succès escompté et qui disparaitra rapidement.
Mais les vieux Salonais ont connu les magnifiques marchés du mercredi où les fleuristes se regroupaient autour de la fontaine.
Elle a connu bien d’autres aventures notre « bello grand fouent »,
entre autre les bains rafraichissants des coureurs du tour de France ainsi que ceux des rugbymen lors de grandes victoires (troisième mi-temps oblige !).
mais également de grandes gelées où le poids des chandelles de glace menaçait de détruire l’édifice. Les employés municipaux venaient alors découper à la tronçonneuse ces grandes colonnes glacées :
Que de belles histoires elle aurait encore à nous conter, notre fontaine !
Des touristes la prennent pour un arbre ou un champignon... pour nous, elle est un peu le symbole de la ville, son cœur.
Autrefois, les fontaines étaient un signe d’urbanisme, elles représentaient le modernisme apportant l’hygiène, elles amenaient la vie au centre de la cité. Elles exigeaient un investissement important en travail, en argent, c’est pour cela qu’on en trouve des traces dans les délibérations municipales.
Aujourd’hui les fontaines ont perdu leur usage domestique, avec l’arrivée de l’eau courante, elles n’en restent pas moins des éléments appréciés du patrimoine communal.
Myriam Mayol
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