LE XIXe siècle : l'âge d'or
Tout a commencé en 1873 avec l'arrivée du chemin de fer qui va bouleverser la face de Salon. La petite bourgade rurale va se transformer en un clin d'œil en une cité industrielle grâce au développement du commerce de l'huile et du savon, mais aussi des fabrications de conserves, de caisses, de ferblanterie…Avec la construction de la gare se développent les exportations et les négociants se multiplient.. A cette époque, certains deviennent riches, vite, très vite ! Cet élan économique va contribuer à remodeler complètement la ville de Salon.
En effet, la nouvelle richesse de Salon, son essor économique et social vont se concrétiser par l'embellissement de la cité et la création de nouveaux espaces urbains. Déjà en 1854 est érigée, sur la place de l'Hôtel de Ville (qui est agrandie, à cette occasion) une fontaine en hommage à Adam de Craponne (à qui la ville doit son canal d'irrigation et une partie de sa prospérité). La statue est confiée au sculpteur aixois Ramus : Adam de Craponne est entouré, à ses pieds, de quatre génies : le génie de la paix au sud, le génie militaire à l'ouest, le génie civil au nord et le génie de l'étude à l'est.
Un grand nombre de réalisations, toutes d'intérêt public, vont être menées à bien : on construit des écoles, un hôpital, un abattoir, un théâtre, un kiosque à musique, un bureau de poste, un hippodrome, des cercles… Aujourd'hui, on peut encore admirer, sur le boulevard Nostradamus, le théâtre Armand, superbe théâtre à l'italienne, toujours en activité et le Cercle des Arts, dont la belle salle de réception a été décorée par le peintre salonais Désiré Girard.
Détails de la décoration extérieure
Le Cercle des Arts
Les Bastides
Contrairement aux riches armateurs et négociants marseillais, ces nouveaux notables salonais ne vont pas vivre dans les bastides ou les mas aux alentours de Salon, dont certains subsistent encore aujourd'hui. C'est au Nord, dans l'actuel quartier des Canourgues, le Mas Dossetto, une grande construction du XVIIIe siècle de plan en U. Les fenêtres ont gardé les figures sculptées qui les surmontent ainsi que leur élégante corniche et leurs volets de bois au sommet cintré. Restent de l'époque agricole, où on l'appelait "le château", la tonnelle, le puits, le mûrier, quelques platanes et trois oliviers du verger.
Tout près, adossée à la colline retenue par d'anciens murets de pierre sèche, la Bastide Haute est une construction modeste. Elle offre au plein sud sa façade couronnée de génoises et de tuiles romaines et son jardin étagé en trois terrasses où alternent fleurs et statuettes. Sur la colline, à droite, se trouvent les anciens corps de ferme et le pigeonnier, également ouverts sur une terrasse ombragée. Le Mas Dossetto est devenu un centre d'animation de quartier et la Bastide Haute, un centre aéré.
Toujours, dans le même quartier se trouve un domaine privé (maison de maître et ferme) : la Campagne St Norbert. La maison de maître, formée d'un étage carré et de combles éclairées d'ouvertures en œil de bœuf, est datée de 1860, tout comme la chapelle consacrée à St Norbert. Une partie de la ferme daterait du XVIIe siècle.
Enfin, à l'est de la ville, sur l'avenue Donnadieu, subsiste une autre bastide : le Pavillon Imbert (aujourd'hui dépendance de l'agglopole). Il s'agit d'une large bâtisse de plan rectangulaire (datant du tout début du XIXe siècle), constituée de cinq travées, avec deux ailes légèrement en retrait par rapport à la façade de l'entrée. Son caractère méridional s'affirme par un bossage d'angle rustique, repris dans l'encadrement des baies, au rez-de-chaussée, au premier étage et dans les percements ovales (œil de bœuf) du deuxième étage. On constate également une toiture de tuiles à quatre versants, orientée nord-sud. Sa construction sobre et traditionnelle permet de situer la maison dans le cadre des résidences de plaisance juxtaposées au domaine agricole.
Une architecture "fin de siècle"
Les négociants et (dans une moindre mesure) les savonniers vont investir les terrains disponibles en bordure de la ville qui vont leur permettre de construire sur le même emplacement leur estive (entrepôt) ou leur usine et leur lieu d'habitation (compromis entre l'hôtel particulier et la demeure à la campagne). C'est ainsi que la villa (ou le château) apparaîtra presque toujours sur le papier en-tête de l'entreprise en signe de marque de fabrique.
Cette récente bourgeoisie locale va chercher à affirmer son pouvoir fraîchement acquis et se laisser séduire par des maisons "clé en main" d'une architecture au caractère plus Bassin parisien que provençal proposées sur les toutes premières revues de bâtisseurs venus de Marseille ou d'ailleurs. Situées en général, au centre d'un jardin ou d'un parc, ces villas vont varier suivant le goût et les aspirations sociales des propriétaires.
L'important étant de paraître et le temps étant aux réceptions mondaines, les entrées sont majestueuses tant pis si les pièces à vivre sont parfois de petite dimension.
Construites la plupart du temps par des entrepreneurs salonais et quelques architectes marseillais, ces villas vont puiser dans un registre architectural où règnent l'historicisme et l'éclectisme. On les retrouve sur les grands boulevards de Salon :
la route d'Avignon (boulevard Ledru Rollin),
l'avenue Gaston Cabrier (ancienne route de Pélissanne)…
Les premières constructions (1870-1880) vont évoquer la villa à l'italienne (de style palladien), avec loggias, colonnes et péristyle, comme le château d'Henri Pascal (ancienne clinique de l'Arche, aujourd'hui cabinet médical) et le château des Louanes (ancienne antenne de la Chambre de Commerce), tous les deux situés sur l'avenue de la République...
Les autres, les plus nombreuses (1880-1900) vont s'inspirer, avec leur toiture en ardoise "à la Mansart", de l'Hôtel particulier parisien. Marius Torcat, ingénieur civil de Marseille en construira trois presque identiques en 1891, 1895 et 1900 : la villa "Beau-Soleil" de Garcin (école maternelle Michelet), la "villa Blanche" de Cornu (antenne de l'H.P. Montperrin) et la villa d'Auguste Girard (ancienne antenne de la Chambre des Métiers d'Arles).
On retrouve cette mode parisienne pour la villa "les Cigales "(ancienne maison Sube) construite en 1900, sur le boulevard Ledru Rollin, tandis que le château Couderc (clinique Vignoli), construit la même année et appelé souvent "château bavarois", est davantage inspiré du style pittoresque en usage dans les stations thermales et balnéaires.
Escalier et grilles avant l'extension de la clinique
Une villa attire particulièrement le regard, c'est la villa Roche, construite en 1902, sur le bd Nostradamus, par l'architecte marseillais Jean Rasonglès et bel exemple d'éclectisme. Si la tourelle élancée de la rotonde évoque les donjons médiévaux, les cariatides échevelées qui soutiennent le balcon en fer forgé sont plutôt de style "rococo". Quant au "bow-window" (élément de décoration mais aussi de confort intérieur d'origine anglaise) de la façade principale, il est pour l'époque un véritable symbole de modernité. Cette villa, une des plus originales de Salon, peut rappeler "l'Art Nouveau";
Quelques vues de la villa Roche
Autre exemple de "bow-window" : la maison Tonin
Deux villas plus tardives méritent également le détour : la villa Nivière (1911-13), sur le boulevard Nostradamus et la villa de Jules Marius Fabre (1922) qui, avec leurs toitures à balustres, évoquent les petits pavillons du XVIIIe siècle.
Enfin, un cas mérite d'être souligné, celui du château Armieux (tribunal de Commerce), sur l'avenue de la République.
Construite en deux temps (1898 et 1903), la villa évoque, par son enveloppe extérieure, les châteaux de la première Renaissance française. Mais derrière sa tour, ses échauguettes et ses toitures en ardoises se dissimule un superbe dôme en tuiles vernissées qui abrite une coupole éclairée par un lanterneau et décorée en 1907 par le peintre marseillais David Dellepiane. Il s'agit d'une chasse assyrienne, dernier témoin d'une décoration intérieure orientaliste.
En effet, ce n'est qu'après son mariage avec la cantatrice Julie de Poorter, en 1903, qu'Edouard Armieux fait ajouter à la construction de type "Renaissance" une grande salle de réception et de spectacle d'inspiration mauresque, où Mme Armieux donnait volontiers des petits concerts.
Quelques vues de l'intérieur du Château Armieux
Escalier en marbre de carrare
Portraits de Monsieur et Madame Armieux
Tableau "les baigneuses"
Tout un art de vivre aujourd'hui, disparu !
Si l'apparence de ces maisons reste un atout important, le décor intérieur est néanmoins très soigné.
Le décor intérieur
Si le château Armieux a vu sa décoration orientaliste totalement disparaître (sauf la coupole et le lanterneau), sa petite salle à manger témoigne encore d'un style emprunté au XVIIe siècle : un plafond à caissons, des trumeaux finement garnis de stucs et au-dessus des lambris, quatre panneaux figurant des scènes de chasse et des scènes de genre, dans le style des tapisseries flamandes du XVIIe siècle.
Il arrive, comme c'est la cas pour la villa de Jules Marius Fabre (bd de la République), que le vestibule devienne la pièce essentielle de la maison. Il peut alors se transformer en salon d'apparat. Sous des boiseries grises et or, les pilastres ioniques marquent l'encadrement des ouvertures, alors qu'une corniche ornée de guirlandes court tout autour du plafond. Au-dessus de la porte d'entrée, deux petits angelots en stuc entourent d'une couronne de lauriers le monogramme F. on se rapproche là d'un style Louis XVI, influencé par l'Antiquité.
En 1912, le peintre marseillais David Dellepiane vient décorer le salon de musique de l'hôtel particulier des Britton (fabricants de bonbonnes). L'hôtel, situé rue Joffre, est aujourd'hui transformé en restaurant ("la salle à manger"). David Dellepiane a peint au plafond un ravissant ciel ouvert dans l'esprit des compositions décoratives du XVIIIe siècle. Trois puttis s'y ébattent, l'un violoniste est couronné de lauriers par le deuxième, tandis que le troisième s'approche en jouant du tambour.
Dans ce même état d'esprit, on trouve d'intéressantes décorations, dans la maison du félibre Crousillat, sur la place de la Fontaine Moussue.
Une innovation architecturale
La seule innovation architecturale de cette époque, en rupture avec l'éclectisme, l'historicisme et la surcharge décorative de l'Art nouveau, se trouve sur le cours Victor Hugo. Elle a été commanditée par un décorateur en ameublement Henri Tonin pour la réalisation de son magasin sur une parcelle qui fait l'angle et qui occupe toute la rue Tronc de Codelet et une portion de la rue Beauvezet. La construction en a été confiée en 1910 à l'architecte aixois J.L. Hulot. Le bâtiment, sur trois niveaux (le rez-de-chaussée abrite le magasin, les deux autres niveaux, le logement), a des lignes nettes, simples et précises à partir d'un jeu de surfaces rectangulaires en béton, avec des bow-window, qu'un petit bandeau en céramique verte vient ornementer. Il s'agit là d'une tendance moderne de la création architecturale des années 1910.
Texte : Magali Vialaron-Allègre
Photos : Myriam Mayol et Monique Eymard
Création de page : Monique Eymard