La peste de 1720 : Marseille et la Provence sacrifiée

La Peste de 1720 : "Marseille et la Provence sacrifiées"




Voilà une passionnante conférence qu'a prononcée notre érudite vice-présidente, Christiane Delaval, devant plus de soixante dix personnes, ce 15 octobre.

Essayons de résumer en peu de lignes tout ces détails, toutes ces implications, tous ces manquements…

" Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre…" La peste, a connu autour de la Méditerranée trois grandes pandémies et une dernière épidémie en 1720. L'origine du bacille que mit en évidence bien plus tard Yersin se trouve en Asie Centrale. Le mécanisme de contamination de cette maladie à trois formes (bubonique, septicémique et pulmonaire) sera élucidé encore plus tard. C'est vraisemblablement par la voie pulmonaire que la Provence fut durement éprouvée en 1720 : 120 000 morts (dont 50 000 à Marseille) sur 390 000 habitants.

Une flûte, le Grand Saint Antoine part de Seyde, l'actuelle Saïda, une des Echelles du Levant, chargé en grande partie de tissus qui devraient participer à la fortune des négociants -et échevins, beau conflit d'intérêt-… marseillais à la foire de Beaucaire (environ pour 9 millions d'euros !). Chataud, le commandant, possède un quart du chargement. Les passagers et hommes d'équipage ont aussi droit d'embarquer la "pacotille", marchandise ne payant pas de fret, dans le but de faire du commerce pour leur propre compte. C'est la France qui a autorité sur ces Echelles, avec un consul sur place qui assure de la santé de sa région, ce qui définit des mesures de prévention dans les ports français.

Le voyage de la flûte est long, avec des ennuis qui forcent à l'arrêt à Tripoli. Et les morts étranges se multiplient… sans bubon. Enfin, les côtes françaises: un mouillage secret près du Brusc et un détour par Livourne -avec 3 morts…-. Des doutes sur la probité des édiles marseillais et des possibilités d'arrangement avec les médecins locaux… Le navire arrive à Marseille, débarque ses passagers et son fret au lazaret, non en isolement sur l'île de Jarre, alors que Chataud a honnêtement déclaré tout ce qui s'était passé depuis son départ (déjà 9 morts à l'arrivée à Marseille). Mais sa déclaration porte des traces ultérieures de falsification et le lazaret est un isolement tout relatif : rigueur inexistante… La population n'est pas informée. Mais des tailleurs meurent sans doute d'avoir acheté du tissu qui n'aurait pas du sortir du lazaret. Et l'épidémie se propage. Les médecins reconnaissent tardivement la peste... Les habitants fuient et répandent ainsi le mal dans toute la Provence. Le bateau vide est envoyé à Jarre. Le régent ordonne qu'il soit brûlé ainsi que sa cargaison (ce qui est fait très tardivement! Il y a la foire de Beaucaire, non ?).

C'est l'hécatombe sur Marseille en ce mois d'août 1720. La ville est isolée. Mgr de Belsunce et la plupart des religieux se dévouent pour ceux qui souffrent. Le Chevalier Roze, représentant exemplaire de l'Etat, prend des mesures pour faire disparaître les cadavres, dans des fosses, ou dans des caves. L'épidémie semble s'éteindre sur Marseille en deux mois. Mais elle s'est dispersée sur la Provence toute entière. Le Comtat, état de la papauté, obtient la construction d'un mur gardé qui l'isolera des états du Roi : c'est le mur de la peste, qu'un groupe d'une trentaine de membres de Salon Patrimoine et Chemins a visité le samedi 17 octobre…





Chataud sera interné au Château d'If, trois ans, sans procès. Innocenté, il mourra en 1727. Le premier échevin est anobli, bien qu'il soit allé au Brusc et ait toléré bien des écarts aux sages précautions royales...

On trouve dans cette triste histoire tous les éléments d'un thriller moderne. Mondialisation, avidité, conflits d'intérêt, refus de prendre des responsabilités, incapacité à accepter l'évidence, désignation d'un bouc émissaire pour protéger les "haut placés"… qui en tirent bénéfice… Et protection par un mur d'isolement et des barrières sanitaires.

En 1894, Yersin a bien identifié le bacille. Le rôle de propagateur est compris plus tard : rat en 1896, puce en 1898. Mais le vaccin n'est pas très efficace : encore de nos jours, il y a beaucoup d'effets secondaires. Cela a donné beaucoup d'idées malsaines aux Japonais durant la seconde guerre mondiale avec les recherches effectuées en grande partie sur les Chinois et les prisonniers russes à l'unité 731, recherches appliquées, bien entendu. Russie, USA et Grande Bretagne avouent aussi des élevages de bacille Yersinia Pestis. La peste est reconnue arme potentielle de destruction massive… Malepeste !!!….

En mémoire de cette peste de 1720, chaque année, suite à l'engagement de
Mgr de Belsunce, une messe est célébrée à Marseille avec tous les édiles : il ne faut oublier toutes ces souffrances de nos aïeux. Et penser que des foyers existent encore en Afrique, en Amérique, en Asie… La peste n'a plus touché l'Europe depuis 1945.


Marc Brocard



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La muraille de la peste



La peste, arrivée à Marseille le 25 Mai 1720 par le vaisseau Grand Saint-Antoine, se propage en Provence dès Septembre 1720. Afin de protéger le Comtat Venaissin, enclave pontificale depuis le XIIIe siècle en terre de France, et éviter la propagation de la maladie vers Languedoc et Dauphiné, les autorités comtadines et provençales décident d'édifier une barrière de protection en pierre sèche.

La "ligne" comme elle est alors nommée, longue de 25 km, haute de 2 m et large de 0,70 m environ à l'origine, chemine depuis Cabrières d'Avignon jusqu'à Monieux en suivant la crête des Monts de Vaucluse. Elle est édifiée entre Mars et Juillet 1721 : 500 hommes sont levés dans chaque communauté, de leur plein gré ou tirés au sort. Chaque village en fonction de son importance, réalise à sa charge, une portion d'ouvrage. Les communautés vivent très mal ces contraintes. Le travail est lent : Assemblage difficile avec un calcaire dur et tranchant ; mauvaise volonté des hommes contraints, forcés et non experts ; urgence de la réalisation avec menaces permanentes d'amendes et de représailles de la part du vice-légat du Pape. Les communautés doivent aussi fournir les bêtes pour le transport des matériaux.

La ligne est gardée par un millier de soldats pontificaux dès fin Juillet 1721 puis par les troupes royales fin Aout 1721. Tous les soldats sont confrontés aux mêmes problèmes : Retard de paiement de solde, manque d'approvisionnement, désertion et absence de relève !




40 guérites, 50 corps de garde pour la vie quotidienne des gardes et 21 enclos pour les bêtes, ponctuent la muraille, constructions réparties inégalement sur toute sa longueur, avec une densité plus importante à proximité des villages et des lieux de passages fréquents.

L'utilisation de cette ligne de protection a été temporaire et inefficace au final puisqu'elle n'a pas épargné la population comtadine (8 000 morts).

Le mur reste aujourd'hui le témoin historique d'une page tragique de notre histoire et certaines portions ont été restaurées par l'association "Pierre Sèche en Vaucluse".


C. Delaval




Quelques photos en illustration dans la galerie